L'aventure à vélo

L'aventure à vélo
2011, Viet Nam/Cambodge en solitaire

lundi 24 janvier 2011

carnet 3 - Hoï Han

Voyagez Sans Moteur, l'esprit libre
Splendeurs du Viet Nam
Vert. Bleu: la couleur du Viet Nam; ces deux couleurs n’ont qu’un seul mot en vietnamien. Vert ou bleu, couleur des rizières qui s'étalent dans les vallées et gradinent les flancs de montagnes Des rizières à perte de vue. C'est le symbole du Viet Nam. Juché sur la selle de mon vélo, je traverse les vallées entre Hué et Hoï Han, moyenne de 22 km/heure ; ce sont des paysages vert-bleu qui défilent sur chaque côté de mon guidon ; au lointain, des montagnes revêtues d’un bonnet et d’une écharpe de nuage : l’hiver n’est pas fini et les averses ne sont pas rares. La température : entre 12 et 16 degrés.
De Hué pour se rendre à Hoi Han
L’état a fait construire une autoroute qui s’éloigne du bord de mer et traverse la montagne. Interdite aux vélos et cyclomoteurs, je prends donc l’ancienne route pour Hoï Han, route plus… alpine. Il existe bien une gare de bus qui partent pour le centre. Je m’entête à maintenir un rythme et entretenir mon « coup de pédale ». Bientôt ce coup va en prendre pour son grade... Soudain, tandis que j'admire le paysage verdoyant, un panneau indicateur rectangulaire surgit et se plante au bord de la route, l’air de dire : « Maintenant, tu vas en baver ! » Le dessin imprimé en noir sur fond jaune représente une montée et indique 10% : je comprends le vietnamien !

Du mental et des cotes
Le secret pour ne pas échouer, c’est le Mental, vous diront tous les Vélomanes professionnels et les sportifs de Haut Niveau.
Voici un mot qui entre dans mon dictionnaire de vététiste. Je me concentre : « Ouf, la route devient plate » et j’arrive au sommet, merci qui? MENTAL… « Mince, ça monte encore ! » Vite, du Mental. Je le cherche entre deux yeux plissés, sous des cheveux plaqués par la pluie et des habits trempés. « Allez, allez, grimpe, Pyerrot ! » J’imagine une arrivée triomphante au sommet, enfin le vrai sommet. Après chaque virage, je lui donne Rendez-vous avec les applaudissements d’une foule qui scande mon nom « Vas-y, vas-y, Pyerrot ! » Mais le sommet se fait attendre. « Bon sang, il est où ? » J’ai besoin de mental à grand renfort. Mes mollets sont tendus et pourtant je ne relâche pas. Je maintiens le rythme qui doit être passé à moins de 10 km/h.

Illustration pour Carnet de voyage de Jean Cabane

Pour nourir mon Mental, je regarde un paysage luxuriant et embrumé. Le décor est splendide.
Je ne cache pas que les quelques bus remplis de touristes venant de Hué qui me klaxonnent me cassent les bonbons. Les passagers me narguent, c’est sûr. Je pédale. Pour me distraire, je chantonne :

« Pour voyager à l’authentique,
Je prends les transports en commun
C’est fatiguant mais folklorique
Je risque ma vie en chemin ! »

(Chanson pour « Train Des Gens », j’entends la voix de Julia et la contrebasse de Laurent : voilà du Mental à petite dose)

Quand verrai-je le bout de cette route ?

D’autres panneaux – de la même famille que le premier - se jettent devant mon pneu pour me déstabiliser, me saper le moral. Les petits frères portent des nuances : 9%. Je les fustige du regard : « Tu n’existes pas, disparais ! » Et j’ai crié « Mental, aide-moi ! » Assis sur mon porte bagage, un petit bonhomme grassouillet s’est précipité sur eux et les a chassés. Les panneaux se sont enfuis et c’est ainsi que j’ai pu atteindre le col. Le grand secret du Mental est de vous doter d’imagination suffisante pour oublier votre douleur et vous faire croire que tout va au mieux. Enfin, j’aperçois une gargote gardée par ses vestales. Je me prends un café vietnamien chaud, je négocie mal un pot de « baume du tigre » pour les prochaines étapes. Je reprends la selle. La descente m’attend.

Voici quelques panneaux vietnamiens dont je vous fournis l'explication. Avec dans l'ordre de gauche à droite:

1) 10%, tu vas en baver pendant 1heure. 2) Baignade pour voiture interdite. 3) Pinocchio profil droit. 4)pour cycliste, mettre sur la selle le sexe à gauche.5)... Comme vous le sentez.


J’ignore ce que ces 10% représentent sur presque 50 minutes de montée en VTT chargé de deux sacoches pleines de livres, de fringues et un sac (poids:24kg+60kg, le mien!) mais je peux vous garantir que si je n’ai ni posé le pied ni fait une pause boisson, en dépit d’une selle confortable, j’avais les muscles fessiers chauffés à blanc. Merci Mental, grâce à toi, j’ai oublié déjà que j’ai passé un sale quart d’heure !
Après avoir franchi le col de la nationale avant Da Nang, qui agit comme une barrière naturelle entre Nord et Sud, je sens pour la première fois depuis le 10 janvier un vent tiède me caresser le visage. Très vite j’ouvre la fermeture-éclair de mon coupe-vent. J’inspire un vent doux.
Hoï Han, la ville touristique...
Le marché des saveurs , situé en bord de rivière
...qui vous repose
Un vieux quartier aux maisons-musée, des rues piétonnes interdites aux deux roues certains soirs, un marché aux étales couverts de fruits, de légumes et de produits locaux, des restaurants et cafés installés le long de la rivière, des quantités de galerie d’Art. On est loin de la ville classique vietnamienne. L’architecture conservée façon « Bruges »fait évidemment tout le charme. Ses rues et ruelles vous dévoilent leurs secrets d’autant plus si vous vous y baladez avec quelqu’un du crû.

Le pont japonais

Hoa et Jean :

Des « Quelqu’un » du crû
Depuis mon arrivée, il m’a fallu attendre Hoi Han, soit 10 jours depuis Hanoï, pour me sentir « parti ». Me sentir ailleurs. La raison est simple : je me suis posé à Hoi Han. Avant mon départ de France, j’avais été mis en relation par le biais du Centre Culturel Français de Hanoï avec Jean Cabane, pour proposer un spectacle en français. Jean habite à 2 km de la vieille ville de Hoï Han (centre du Viet Nam). Il est artiste peintre, expose dans une galerie près du marché et partage sa vie avec Hoa. J’ai été hébergé chez eux… Et ça a été un réel plaisir : d’abord j’ai bénéficié d’un accueil chaleureux. J’ai dormi dans « l’Atelier du peintre », un lieu paisible débordant de peintures, de pinceaux et de feuilles d’un papier très spécial : le papier DO. Ensuite, la cuisine de Hoa restera inégalée : j’ai goûté au raffinement gustatif, à l’éternel culinaire vietnamien. Crabes et petites crevettes grillées, canard, pho (soupe de pates de riz), cau lao (spécialité d'Hoi Han, soupe avec morceaux de porc et légumes, pousses de soja), banh bao (genre de nems farcis à tremper dans sauce soja) salades et soupes, fruits confits. C’en était trop pour mon estomac habitué à un petit-déjeuner et un dîner. Sans vous parler des gâteaux dont les parfums et arômes envahissent la maison dès potron-minet et vous ouvrent l’appétit quand bien même vous êtes rassasié.

Jean CABANE
Exercice de style ou Comment vous faire le portrait d’un peintre. En souhaitant ne rien gâcher d'une rencontre inopinée et une entente spontanée. Voilà:
JEAN: Artiste peintre. Qu’il pleuve ou qu’il fasse un temps couvert, son accent de Nîmes - plus chantant que celui du Nord il va sans dire - vous déboussole et dépayse un Lorrain qui voyage au Viet Nam. Son regard scintillant, nourri du soleil de « là-bas », vous souhaite la bienvenue. Et il y a cette moustache à la « Fred *» qui soutient son sourire en permanence. Disponibilité. Générosité. Il transforme son atelier en dortoir. J’avais atterri dans le nid douillet d’un peintre... et d’une cuisinière !

(*le dessinateur de BD, de « Philémon » ou du « Petit cirque », à chacun ses références. Jean adorait Pif Gadget.)

Cinq jours de quasi-résidence qui m’ont permis de profiter d’un cadre exceptionnel. A la question posée à Jean par une artiste peintre de Bruxelles, de passage dans sa galerie: « La France ne manque pas trop ? » Il répond sans hésitation, sans le brin de nostalgie pour son pays natal qu’il ne décrie pas pour autant : « Ici, je suis heureux. ». Comme quoi: le bonheur existe, attrapons-le et profitons-en avant qu’il ne sauve.

L'atelier du peintre, à droite

Pour info: Jean Cabane s’occupe d’une association qui a vocation d’aider les enfants d’un orphelinat.
Association La goutte d eau -
www.la-goutte-deau.com/

Pour apercevoir sa galerie "Ami Galerie") et ses oeuvres: vous pouvez aller directement lui rendre visite de façon virtuelle en attendant de le croiser peut-être un jour là-bas. Bonne visite. Un conseil, méfiez-vous des plats mitonnés de Hoa. Vous ne pourrez plus jamais vous en passer par la suite. Mieux vaut les rencontrer tous deux en fin de périple, histoire de repartir avec les papilles satisfaites et un souvenir de cuisine vietnamienne impérissable.

www.artmajeur.com/

Ci-dessous, illustration tirée d'un carnet de voyage, avec l'aimable autorisation de l'auteur.


22, voilà Lucie, le spectacle
Le conte de Lucie Verpeuton et ses quatre lutins, avec Mamie Faribole et Maître Farfadas, s’est exporté. Il s’agit d’un conte inventé et joué par votre humble pédaleur, histoire créée au sein de la compagnie Lavifil cet hiver pour Saint Quirin avec, pour la créa musique, Christophe Durant. Le texte a été traduit en vietnamien par la fille de Hoa. J’ai rencontré quelques personnes du cercle francophone à Da Nang, je joue le jeu.
Cercle Francophone

Jouer en français au Viet Nam est depuis le départ un pari artistique rempli de doutes, de pièges. C'est risqué, le français. Il y a l'anglais, le coréen, le japonais, le chinois en vogue. La peur d’être incompris. J’ai longuement hésité en me disant encore la veille de la représentation du conte, qu’il aurait mieux valu monter un spectacle visuel et sonore. Ce que je compte faire au cours de mon voyage. Mais tout s’est ajusté en une journée. Le 22 janvier, au matin, Hoa me confectionne un chapeau de lutin Verpeuton ; à 15h, Dinh, un jeune guitariste vietnamien invité par Jean et Hoa, se présente. Très bon guitariste. Après une mise au point sur le thème principal musical et l’accompagnement général illustrant chaque personnage, nous partons ensemble pour la Galerie de Jean, lieu de la représentation.

La galerie a été préparée : Adèle, la "jeune étudiante" du Jura, en stage pour soutenir l’association de Jean, a mis la main à la pâte. Les bancs sont installés. Soudain, une odeur sucré me caresse le bout du nez : des gâteaux préparés par… Devinez. "Au moins, me suis-je dit, si le spectacle se passe mal, la collation sera excellente !"

Levée de rideau sans rideau

à droite, juste avant de jouer, avec Hoa. Petite mise au point franco-vietnamienne

18h : un public s’est déplacé. Surprise : au premier rang, des lycéens et étudiants vietnamiens. Des couples, une famille. Des curieux. Pas de représentant du Cercle Francophone de Da Nang, ce n’est pas grave car Monsieur Dieu est assis au dernier rang. Quand je pense que certains montent des comédies musicales sur Jésus, je n’ai rien à faire pour avoir Dieu parmi les spectateurs. Bien entendu, il faut ajouter un accent circonflexe sur le U et prononcer le nom à la vietnamienne (Fieu) mais l’orthographe est celle-là : DIEU. Loin des conventions, on baisse la lumière, on allume les bougies posées en cercle sur le sol, un discours très bref de Hoa et des applaudissements... C'est parti.

à droite, affiche de Laurence Schluth avec présentation et horaires... en vietnamien
Et un ver luisant, à droite
Et une Mamie Faribole...
euh... Faritchong
à gauche
Et un lutin Verpeuton, à droite
Le spectacle se passera à grand renfort de gestuel et de quelques mots d’anglais lâchés.
Pour l’occasion, Mamie Faribole et Maître Farfadas deviennent Miss Faribole et Mister Farfadas.
Je joue Mamie Faribole coiffée d’un chapeau traditionnel vietnamien. Grand Plaisir sera. Plus courte aussi la durée sera. Le conte s’achève comme en France : Farfadas dans la bouillasse crèvera. Pour compléter la soirée, je prends une guitare et, toujours accompagné par Dinh, j’interprète trois chansons.

à gauche, avec Dinh, excellent guitariste

Fin de spectacle, en magie par Thierry Palasse (il adore Didier Super: Petit papa Chinois...) et apparition des gâteaux de Hoa!. L’ambiance est conviviale, les échanges fusent : l’instant est réussi, je suis transpirant mais surtout soulagé.

Ce sera ma dernière soirée à Hoï Han en compagnie de Jean, Hoa et Adèle « Bière Sec ». Je les salue tous les trois.

Autres illus. de Jean

Je partirai avec dans les sacoches de Tigre Vert des livres de Contes Traditionnels Vietnamiens, afin de compléter mon séjour et d'approfondir mes connaissances. Les contes en dépit de toute traduction ne se comprennent et ne se ressentent qu'avec le pays d'où ils ont émergé. Ils perdurent car ils sont issus d'un rythme, d'une musicalité, d' une mentalité ancrée entre le ciel et l'eau. Impossible de les comprendre sans avoir senti le vent caresser les rizières en cascades. Sans avoir cru Bleu ce que les Vietnamiens appellent Vert. Pour ce pays splendide, c'est la beauté des paysages qui en fait toute la profondeur.

L’aventure culturelle en solitaire à vélo continue au Viet Nam, suite dans le carnet 3. Direction, les temples Cham de My Son, 60 km. Merci pour vos messages chaleureux qui m'accompagnent le long de mon périple. Au revoir : Tam bi-ett. Je pense à vous.