L'aventure à vélo

L'aventure à vélo
2011, Viet Nam/Cambodge en solitaire

jeudi 3 février 2011

Carnet 4 - Hauts Plateaux

Voyagez Sans Moteur, l'esprit libre

Hauts Plateaux /Petit Plateau
« Cette route devrait grimper jusqu’au firmament vietnamien », ai-je pensé en espérant que ce soit le dernier coup de pédale. Le dernier virage. En même temps, ce qui m’entoure ne cesse de m’émerveiller. Des forêts, des parfums, des villages « ethniques »… Grand plateau du pédalier pour les descentes, vite repassé au Petit Plateau, petite vitesse. Je ne me fais plus aucune illusion ici : la ligne droite existe… de façon inclinée. Je roule, après je ne sais quel nouveau décor naturel, après je ne sais quelle photo, après je ne sais quelle rencontre. Est-ce que cela en vaut la peine ? Entre mes sourcils pincés, résonnent des contes, des histoires, des mélodies, des textes inachevés et souvent inachevables. La cacophonie des mots, des idées, des sentiments fait son travail : elle occupe l’esprit. Au-dessus de mon guidon, le ciel est bleu, tout va, comme en apesanteur.

Avant dernier carnet vietnamien
Dans quelques minutes, je serai à Da Lat, ville étape incontournable du Sud. Je suis assis sur cette montagne couverte de pins, semblable à une forêt landaise plantée sur une chaîne de montagnes pyrénéennes, je contemple la vallée d’où je suis venu, plein soleil : je regrette déjà que ces douze derniers jours aient passé aussi « rapidement ». Les images de mon périple défilent. J’ai choisi cet instant, pour cet avant dernier carnet vietnamien, pour la raison qu’il a été un rendez-vous avec un voyage qui se défait et paradoxalement se construit. C’est peut-être aussi là l’essence du voyage ? Je sais que tout cela en a valu la peine.
… Heureux de partager avec vous cette aventure en solitaire assis sur un Tigre Vert.

My Son, temples Châm
Le 23 janvier, départ de Hoï Han.
Le crachin m’accompagne. 3 heures de route pour atteindre My Son et ses temples Châm. L’Angkor Wat des Rois Khmers en moins étendu, avec tous les charmes des ruines d’une civilisation enfouie sous la végétation luxuriante. Cette ancienne cité du peuple Châm dort au milieu d’un écrin de beauté naturelle, une vallée cernée par les montagnes vertes. 3h de visite. Des sentiers rocailleux, des arbustes aux racines tentaculaires, une canopée embrumée, des sifflements lointains. Parfois, ce n'est pas sans rappeler les temples Mayas de Tikal, singe hurleur en moins.

Puis la route, longue et froide
Il faut que je gagne les Hauts Plateaux, sans doute derrière se trouve le soleil ? En attendant, j’ai encore dix jours pour atteindre Da Lat. Aux vues des kilomètres et de la fatigue qui se lovent entre les muscles et se glissent entre le t-shirt trempé et le dos au premier coup de vent. Trois jours de montée, encore des « 10% » qui s’enchaînent. Ceux que je redoute le plus, finalement, ce sont ceux qui n’apparaissent pas sur un panneau. Puis des descentes avec un vent de face. Je ne me plains de rien : personne ne m’a obligé d’être là. Je garde le rythme.

Kam Duc. Une chambre spartiate dans un bâtiment type militaire et un poncho, cadeau d’une famille qui m’a offert le café avant mon départ. Merci pour ce poncho, il me servira encore quelques jours.
J'avance, j'avance, j'avance, j'avance...
Le paysage entre deux éclaircies est magnifique : l’avantage d’être né dans le Nord, est qu’un relief verdoyant s’apprécie même sous un crachin continu. Merci le Nord.

La route Ho Chi Minh
Il s’agit de l’ancienne route empruntée par les troupes du Viet Cong durant la guerre. Oncle Sam contre Oncle Ho. Les combattants marchaient durant des heures. Sous des pluies de bombes, le napalm, les tirs… La guerre joyeuse, quoi. Aux vues de la taille des trous d'obus, pas loin de ceux de Verdun, les Américains n’y allaient pas par quatre chemins. On va pas s'priver, hein? ça fait marcher le commerce. Vaste terrain d’essais militaires dont certaines photos feront le tour du monde. CF: La photo de la petite fille, qui fuit le gazage... D'ailleurs, plus tard, elle a écrit ses mémoires. Des massacres de villages par les GI (un régiment dirigé par un abruti condamné et relaxé), le protecteur dérape et perd l’opinion publique… La guerre américaine s’arrête. Une autre, interne cette fois, va commencer. Nord contre Sud. Ceux qui n'ont rien et qui veulent tout contre ceux qui n'ont rien mais qui ne font pas ch.. le monde.

Juste en anecdote : « Quelle est la différence entre la civilisation et la barbarie ? L’océan Atlantique » Oscar Wilde

Un rayon d'mon vélo
contre un rayon d'soleil!
Je me traîne sur une route boueuse, le ventre barbouillé, les yeux mi-clos. Il pleut, toujours. Je suis à la recherche d’un rayon chaud… Je contemple les forêts, la brume entre les arbres. J’ai froid. Si je m’arrête, je me refroidis davantage ; si je stoppe la machine, je ne repars pas et je tombe malade, c’est redoutable mais logique. Allez, une, deux. Le claquement du bas du poncho contre la barre du cadre rythme mon coup de pédale. Il me faudra être patient trois jours encore avant de voir, au détour d’un virage, un coin de ciel bleu : j’accélère. Jusque 13h, je ne croyais qu’à une journée de saucée complète. Tout à coup Monsieur soleil avec la chaleur est arrivé en l’espace de quelques mètres… Rien n’est prévisible à vélo !

Photo prise dans la foulée : Au-dessus de la chaîne de montagnes que je quitte, un sombre nuage gris reste accroché au dernier sommet, comme un étendard rivé à son mât. « Tu restes là, changement de pays ! »

La route des Hauts Plateaux
Vent force 5, dans le dos, chaleur agréable. Paysage merveilleux. Short cycliste et bras couverts : après 5 jours de ventre retourné et de moral dans les chaussettes (sales tant qu’à faire), c’est reparti. Ça pulse sur les pédales !

Jours heureux
Les jours suivants ne seront que plaisir des yeux, des hôtels vietnamiens, service minimum mais suffisant pour une nuit. Des repas sans grande saveur mais bienvenus à toute heure… Riz, jus de riz, puis le smecta (plâtre pour l’estomac) et le coca sans bulles feront leur travail. Constat réel, si l’humeur général d’un être humain dépend de l’état physique, du temps qu’il fait et du relief, je peux vous confirmer une chose : cette nouvelle expérience de « solitaire » à vélo m’a appris justement à maintenir le cap psychologiquement ; qu’il vente, qu’il fasse froid, je poursuis l’aventure sans oublier mon port d’attache de travail et mes proches. Au contraire.
Photos: une rizière parmi tant d'autres.
La maison traditionnelle sur pilotis pour les réunions au Grand Sommet

Vélo, boulot, dodo
Parallèlement, le soir, en sus de tenir mon Carnet de voyage, de retenir mes tripes et de me doucher à l'eau froide, je réponds à une commande pour un spectacle Jeune Public à Anglet : une comédie courte et décalée. Humour et fantaisie en premier plan, dans l’esprit « Franquin » (pour ses personnages pétants et sa bonne humeur). Elle sera d’ailleurs jouée par des enfants et mise en scène par la Compagnie Lavifil avec l’inestimable complicité de Dominique. Les influences vietnamiennes, non prévues au départ, ont peu à peu gagné l’histoire et lui donnent une particularité. Un mélange entre le monde d’un professeur inventeur fou et celui d’une vieille « Demoiselle » asiatique. Si cela vous intéresse, Festival Jeune Public d’Anglet, du 22 au 24 avril. Voyez, je ne chôme pas.

Sans mot dire
Je vais arriver à Da Lat : 750 km de faits depuis Hoï Han. J’ai préféré ne pas perdre de temps dans les villes précédentes pour me reposer dans cette ville et apprécier une douche, un hôtel et la vie « normale » d’un endroit agréable et vivant. Quitte à commettre des étapes de 70 km/jour entre deux montées de fièvre. Le corps a tenu le coup, il faut que je le ménage…

A présent, s’étend devant moi le décor le plus vaste du Viet Nam, les Hauts Plateaux dont le Chef-Lieu est Da Lat. Quel paysage! J’en ai la chair de poule. Je suis resté sans mot devant l’un des plus beaux sites naturels de ce pays; un vent léger, une bouteille d’eau, un biscuit. Je suis heureux d’avoir tenu jusqu’ici, malgré les entrailles barbouillées. Je dois peser 58 kilos… mais je garde le cap. Tant pis pour le firmament, celui-ci me convient amplement.

Dictons:
« Un homme ne s’élève pas par son poids qui le retient mais par le vide qu’il transcende »

« Mieux vaut être maigre et boire de’l bière qu’être gros et faire un ulcère ! »


Dernière étape Viet Namienne : Da Lat et le Nouvel An fêté le 3 février à minuit. L'année du... CHAT (Pas du lapin comme chez les Chinois).
Je pense à vous.